Chapitre premier : l’initiation de Tammra, joie et tristesse.
C’était une belle après-midi d’été, une légère brise soufflait sur les plaines de la Mesa de Nuage-Rouge ...
… L’air était chaud, réconfortant, à peine rafraîchit par le souffle irrégulier du vent, un peu comme si la Terre-Merre elle-même respirait, comme si elle semblait se laisser aller à une sieste réparatrice ...
… Les criquets berçaient de leurs carillons les hautes herbes ; un papillon blanc et jaune flottait tant bien que mal au-dessus des pâtures, se déplaçant à la manière d’un ivrogne quittant la table après un repas trop arrosé, l’esprit un peu trop embrumé par les langueurs de l’alcool ; les abeilles butinaient, fécondant de leurs incessants ballets aériens les jolies fleurs de Mulgore …
… Taha, jeune et fier Tauren, reconnaissait ces fleurs, des pacifiques, des boutons-d’or, des coquelicots, et bien d’autres, apportant couleurs et douceur à l’immensité verte de la plaine … Bien sûr, comme beaucoup de Taurens, Taha était herboriste, depuis son plus jeune âge, il parcourait les prairies sauvages à la recherche de toutes sortes de plantes. Taha avait un don avec la flore, vraiment, et il n’était pas le seul ... Tammra, la douce et belle Tammra, la fille du boulanger du Camp Narache, Moodan Blé-du-soleil. Tammra a aussi un don particulier pour les plantes, on raconte que son don serait tel qu’elle pourrait même faire pousser une fleur depuis la terre la plus aride. Même que Nida Sabot-d’hiver, la grande herboriste, était une fois descendue des Pitons-du-Tonnerre pour voir les deux prodiges … « Surtout Tammra ! », se sourit à lui-même Taha. Nida Sabot-d’hiver avait dit, au terme de la promenade la plus instructive de leurs jeunes vies :
« Taha, tu as un don, ça se voit et je le sens. Mais ton don n’est pas celui que tout le monde croit ! Tu découvriras cela plus tard, et alors, tu comprendras ! »
Nida Sabot-d’hiver laissa un long silence pour permettre à Taha de mesurer la profondeur de ses paroles mais l’enfant qu’il était à l’époque ne comprenait pas. Alors Nida Sabot-d’hiver se sentit obligée d’ajouter :
« Patience jeune trotteur fougueux, patience … tu as encore tant de choses à apprendre et à découvrir … mais tu ne seras pas déçu, j’en suis certaine, de grandes choses t’attendent ! Et puis … nous nous reverrons, crois-moi. Nos chemins seront différents mais ils se croiseront souvent, je te le promets »
Nida Sabot-d’hiver fit un clin d’œil à Taha et lui ébouriffa la crinière en lui souriant. Taha se sentit apaisé par les paroles de Nida Sabot-d’hiver. Mais sa curiosité et son impatience n’en furent que décuplées. Qu’avait-elle bien pu vouloir dire ?
Puis Nida Sabot-d’hiver se tourna vers Tammra et elle s’accroupi pour être à la hauteur du visage de Tammra. Elle la regarda droit dans les yeux et dit :
« Par contre, Tammra, ton don avec les plantes est on ne peut plus singulier ! Nous nous reverrons jeune Tammra … nous nous reverrons … et plus tôt que tu ne le penses ! »
Nida Sabot-d’hiver partit d’un rire sincère et sonore et cela eut l’effet escompté : toute la lourdeur et le solennel du moment furent dissipés en l’instant.
Ils avaient ensuite poursuivi leur promenade, Tammra et Taha avaient couru dans la plaine, chantant, sautillant, la main dans la main … heureux et insouciants …
C’était il y a des années, et pourtant, les paroles de Nida Sabot-d’hiver raisonnaient dans la tête de Taha comme si Nida Sabot-d’hiver venait juste de les prononcer ...
« … alors, tu comprendras ! »
Encore aujourd’hui, Taha ne comprenait toujours pas les paroles de Nida Sabot d’hiver. Mais il s’était résigné à être patient …
Et puis, il y eut l’événement survenu la précédente pleine lune, hier soir …
Tout le Camp Narache s’était rassemblé à la fin de l’après-midi et le banquet mensuel de la pleine lune avait débuté. Taha s’était tout suite rendu compte que ce banquet ne serait pas comme les autres. De nombreuses personnalités étrangères au Camp Narache étaient présentes et Taha ne les connaissait pas. De plus, le faste du banquet dépassait tous les banquets auxquels Taha avait participé … Mais, dans l’assemblée autour de la table, une figure lui était familière … NIda Sabot-d’hiver était là ! Ca ne pouvait vouloir dire qu’une seule chose … ce banquet était une cérémonie … d’initiation …
Taha croisa le regard de Nida Sabot-d’hiver. Il la regarda, un peu gêné, les yeux pleins de déférence et de respect mélangés à l’envie d’aller la saluer chaleureusement. Nida Sabot-d’hiver devina le dilemme de Taha et elle lui sourit chaleureusement et sincèrement. Il sourit en retour, plus décontracté. Taha pris soin d’analyser les tenues des étrangers et des dignitaires du Camp Narache, et particulièrement, la tenue de Nida Sabot-d’hiver. Contrairement à d’autres dignitaires, elle portait une robe simple en lin écru, sans artifices, à l’exception d’un collier de fleurs et des fleurs attachées par du fil de lierre à sa crinière. Mais le plus particulier était les parfums que dégageaient Nida Sabot-d’hiver. Les parfums qui tournaient autour d’elle et que la brise du soir, dans sa gentillesse, apportait de temps à autre aux narines de Taha, semblaient être le parfum de toutes les fleurs en même temps …
Son regard quitta Nida Sabot-d’hiver et balaya l’assemblée assise à la table. Bien sûr de nombreuses têtes lui étaient totalement inconnues mais avec un peu d’imagination, il était facile de deviner ce qu’elles représentaient : un guerrier, un chasseur, un armurier, et toutes sortes d’autres corps de métiers et de professions … Puis l’évidence frappa Taha telle une massue …
… Tammra n’était pas présente ! …
Le rythme cardiaque de Taha s’accéléra … frénétiquement, il regardait autour de lui à la recherche de son amie mais il ne la trouvait nulle part … alors, avec un pincement au cœur mélangeant amour, tendresse, impatience et … tristesse, lorsqu’il comprit que ce banquet était la cérémonie d’initiation de Tammra et qu’elle le quitterait à l’issue des festivités pour suivre une des personnalités assises autour de la table, Taha se résigna a attendre l’arrivée de Tammra …
Son regard croisa à nouveau celui de Nida Sabot-d’hiver. Taha se força un peu pour sourire. Nida Sabot-d’hiver lui sourit et marmonna des paroles que Taha ne pu comprendre dans le brouhaha festif ambiant. Mais, curieusement, Taha comprit les paroles sans les avoir entendues … « Tu la reverras ! … Et plutôt que tu ne le crois ! » … alors, il sourit sincèrement cette fois mais dans ses yeux, des larmes grossissaient, mélangeant joie et tristesse pour son amie Tammra …
… mais Taha n’a jamais remarqué que dans l’assemblée … un des Taurens présents l’observait attentivement …
Puis Tammra arriva, simplement vêtue de la robe blanche que tous les jeunes Taurens confectionnent eux-mêmes en prévision de leur initiation … Tous les yeux se tournèrent vers elle … Tammra était magnifique, sa crinière marron et son poil couleur du feu, ses petites cornes horizontales … et ses yeux violets … d’une profondeur à s’y noyer … Taha l’aimait … en fait, il l’avait toujours aimée mais il ne le lui avait jamais dit, par peur de perdre son amie … mais ce soir là, l’amour qu’avait ressenti Taha pour la belle, la douce Tammra, n’avait jamais été aussi sincère et puissant … mais ce soir là, Taha regrettait aussi de ne pas lui avoir dit qu’il l’aimait car, quoiqu’il arrive, ce soir là … il la perdait …
Il sentait l’émotion l’envahir … il sentait les larmes perler dans ses yeux … puis les paroles non entendue de Nida Sabot-d’hiver résonnèrent curieusement dans sa tête …
… « Tu la reverras ! … Et plutôt que tu ne le crois ! » …
Taha sourit … une seule et unique larme coula le long de sa joue … au moment où la perle d’amour allait se décrocher du menton de Taha et tomber lourdement sur le sol, le vent souffla si brusquement que la larme se décrocha et se perdit dans la nuit …
Personne n’avait remarqué cela, même pas Taha lui-même ! … tous, autant qu’ils étaient, avaient été surpris par ce coup de vent soudain qui avait fait sourire tout le monde lorsqu’il avait soulevé la robe blanche de Tammra, dévoilant ses jambes jusqu’au dessus des genoux. Tammra, elle, n’avait pas souri, elle avait même été plutôt gênée …
… mais Nida Sabot-d’hiver avait ressenti le vent et avait observé Taha lorsque le vent avait soufflé. Elle a souri quand elle a vu la larme s’évaporer dans la nuit. Oui, elle avait vu la scène non remarquée qui se déroulait sous leurs yeux …
… et elle n’était pas la seule … quelqu’un d’autre avait observé …
Le reste du banquet n’avait été que festin, rires et chaleur jusqu’à minuit … alors que la pleine lune était à son zénith, la prophétesse Plume-de-corbeau se dressa et écarta la bras pour inviter l’assemblée au silence. Lorsqu’elle eut l’attention de tout le monde, elle prit la parole :
« Mes amis, l’heure d’entendre les Anciens est venue pour Tammra, fille de notre boulanger Moodan Blé-du-soleil et de notre épicière Kawnie Douce-brise ! »
Plume-de-corbeau se tourna vers Tammra, qui était assise entre elle et le vieux sage Voyant Langue-grise, et dit simplement :
« Tammra ! Ton voyage commence maintenant ! Lèves-toi et suis-nous ! »
Bien que les paroles ait été autoritaires, elles ressemblaient curieusement davantage à une invitation qu’à un ordre … Tammra se leva à la suite du Voyant Langue-grise et lui emboîta le pas alors qu’il prenait la direction de sa retraite au sud-ouest du Camp Narache, au pied des montagnes ... l’atmosphère était pesante … la joie du nouveau voyage, la tristesse du départ, la crainte de l’inconnu … tous ces sentiments se mêlaient … certains souriaient, d’autres sanglotaient … Tammra se retourna une première fois … elle croisa le regard de ses parents et leur sourit comme pour les rassurer et les remercier de tout ce qu’ils lui avaient donné … puis son regard bascula vers Taha … elle lui sourit mais Taha fût surpris de déceler de l’amusement et de l’impatience dans les yeux de son amie. Les lèvres de Tammra murmurèrent alors à Taha :
… « Retrouves-moi ! » …
Elle fit rapide clin d’œil espiègle à Taha et suivit plus solennellement le Voyant Langue-grise. La Prophétesse Plume-de-corbeau ferma la marche, une esquisse de sourire complice à la commissure des lèvres.
C’est alors que le vent, en un souffle soudain, joua à nouveau avec la robe blanche de Tammra qui s’éloignait. Celle-ci se retourna une dernière fois et, tout en abaissant à nouveau sa robe, tira, avec espièglerie, la langue envers l’assemblée qui la regardait partir … tout le monde s’esclaffa bruyamment …
… personne ne remarqua une autre larme emportée par le vent alors qu’elle coulait le long de la joue de Taha …
… enfin … si … quelqu’un avait observé la scène … et ce Tauren sourit pour lui-même …
… « Bientôt ! » … murmura-t-il … « Très bientôt ! » …
(à suivre …)